Marché global ou allotissement : le juge contrôle l’erreur manifeste d’appréciation

  • 12/10/2011
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A propos d’un contentieux portant sur un marché de fourniture et de pose de signalisation verticale directionnelle sur les routes départementales des Bouches-du-Rhône, le rapporteur public, Nicolas Boulouis, est revenu sur la question de la justification du recours au marché global, exception à la règle.

La question de la justification du recours au marché global est à nouveau posée devant le Conseil d’Etat. Le département des Bouches-du-Rhône a lancé une procédure de passation pour la fourniture et la pose de signalisation verticale directionnelle sur les routes départementales. Pour ce marché, le pouvoir adjudicateur a décidé de passer un marché global plutôt qu’un marché alloti géographiquement comme il l’avait fait pour son précédent marché. La société Signature, rejetée de la procédure, a attaqué devant le juge du référé et a obtenu gain de cause. Le magistrat marseillais a estimé que la personne publique ne démontre pas qu’elle rentre dans l’une des exceptions au principe de l’allotissement, formulées à l’article 10 du CMP. La procédure est donc annulée dans sa totalité.

Devant le Conseil d’Etat, le rapporteur public, Nicolas Boulouis, propose d’admettre la cassation de l’ordonnance pour une aspérité procédurale. Par une note en délibéré, le département a fait valoir que l’offre de la requérante aurait dû être rejetée comme irrégulière car elle n’a pas été signée par une personne habilitée à l’engager. Le juge du référé précontractuel balaie le moyen, au motif que le pouvoir adjudicateur a examiné et classé l’offre. Pour Nicolas Boulouis, ce raisonnement est entaché d’erreur de droit. Les candidats estiment généralement qu’une fois passé avec succès le stade de l’examen de la régularité de l’offre, cette dernière ne peut plus être rejetée que parce qu’elle n’est pas économiquement la plus avantageuse. « Nous ne nous sommes jamais engagés en ce sens. Le seul droit du candidat est le maintien de son offre pendant un certain délai. En revanche, il faudrait reconnaître à la personne un droit à l’erreur y compris devant le juge du référé précontractuel », souligne-t-il. Le juge n’aurait donc pas dû écarter ce moyen comme inopérant.

Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (EMA)

Si la cassation est admise, le Conseil d’Etat enfilera son habit de juge du référé précontractuel. La société requérante soutenait tout d’abord que le département a commis un manquement en n’allotissant pas le marché. Le rapporteur public rappelle que l’article 10 du CMP pose le principe de la dévolution du marché en lots séparés. Ce principe souffre de trois exceptions : l’allotissement est de nature à restreindre la concurrence, à rendre techniquement difficile ou financièrement coûteuse l'exécution des prestations, ou le pouvoir adjudicateur n'est pas en mesure d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination. Le contrôle du juge sur le choix opéré entre marché alloti et marché global n’a pas encore été défini. La haute juridiction dans son arrêt commune d’Ajaccio avait, en cas de marché alloti, considéré que s’agissant de la définition du nombre et de la consistance des lots, le manquement aux obligations de mises en concurrence ne peut résulter que d’une erreur manifeste du pouvoir adjudicateur, compte tenu de la liberté de choix qui lui est reconnue à ce titre (1). Dans les arrêts Communauté urbaine de Nantes et département de l’Eure, le juge a contrôlé si la justification apportée par la personne publique est suffisante pour expliquer et valider la dévolution en lot unique ou en marché global. Mais la nature et l’intensité du contrôle du juge n’ont pas encore été précisées. « Deux objectifs doivent être conciliés. Le premier est le respect de la hiérarchie instaurée à l’article 10 du code entre le principe et les exceptions. La personne publique n’a pas d’autres choix que d’allotir. Il n’y a donc pas lieu d’effectuer un contrôle distinct sur ce qui n’est pas une alternative. Le second objectif est de ne pas engager le juge sur le terrain d’un contrôle qui le dépasserait, celui d’un contrôle technique difficilement réalisable dans un délai bref, développe Nicolas Boulouis. Nous croyons que la jurisprudence Communauté urbaine de Nantes assure cette conciliation ave en arrière plan l’erreur manifeste d’appréciation ».

Le requérant ne rapporte pas la preuve de l’EMA

Le recours au marché global peut donc être justifié par l’existence d’un risque financier sérieux ou de difficultés techniques. « Si le juge est convaincu de l’existence d’un risque techniquement difficile ou financièrement coûteux, il estimera que la personne publique n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation, précise le rapporteur public. En l’espèce, le département faisait valoir que le recours à l’allotissement rendrait techniquement et financièrement difficile l’exécution du marché. Le requérant, s’il fait référence à l’article 4 du CCTP, ne rapporte pas la preuve que le département ne pourrait pas coordonner l’exécution des prestations », remarque le rapporteur public. Sur le plan financier, la société conteste le fait que les économies seraient liées au passage du marché alloti au marché global. Selon elle, la diminution des prix proviendrait du démantèlement de l’entente et de la restriction des budgets des collectivités territoriales. « Mais ces arguments, dans le cadre du contrôle que l’on pourrait adopter, ne montrent pas que le département s’est manifestement trompé en indiquant que la dévolution globale coûterait plus chère », estime-t-il. Pour Nicolas Boulouis, la société n’a pas réussi à démontrer que le département avait commis une erreur manifeste d‘appréciation en mettant en œuvre la procédure dérogatoire de l’article 10 du CMP. Il propose donc de rejeter ce moyen. L’autre argument soulevé par la société requérante portait sur le fait que le département n’aurait pas examiné les capacités financières de la société attributaire, en situation de redressement judiciaire. Plutôt que de s’en tenir au critère du chiffre d’affaires, le département aurait du exiger la production de bilans. Le rapporteur public estime qu’en demandant le chiffre d’affaires des trois dernières années, comme l’autorise l’arrêté du 28 août 2006, il serait inexact de dire que les capacités n’ont pas été examinées. Il propose donc le rejet du moyen. Au final, il invite les sages du Palais Royal à annuler l’ordonnance du TA de Marseille, à rejeter la demande d’annulation de la procédure de passation et de condamner la société requérante à verser au département la somme de 4.500 euros. A l’issue de l’audience, l’avocat de la société requérante a déposé une note en délibéré. Selon lui, il appartient au département de prouver que c’est le risque financier qui a provoqué sa décision de recourir au marché global (et d’en justifier). Or en l’espèce, le département n’a jamais rapporté cette preuve. Il ne peut pas se borner à affirmer, une fois que le référé est engagé, qu’il y a un risque financier qui justifie le marché global. La preuve doit porter sur la situation ex ante et ne doit pas servir à justifier a posteriori le recours au marché global. Réponse du Conseil d’Etat dans quelques jours.

(1) Allotissement : l’heure est à la détente

(2) Article 10 : le juge contrôle dans les moindres détails

(3) CE 9 décembre 2009 Eure