
La mutualisation des achats publics, une histoire de contradictions

« Pour doubler le bonheur, il faut le partager ! »
Paul Bocuse
Paul Bocuse
Cette semaine, achatpublic.info consacre un de ses articles à l’association European health public procurement alliance (EHPA).Sa première particularité est de regrouper les principales centrales d’achat européennes, sur le secteur secteur sanitaire/santé, ayant la qualité de pouvoirs adjudicateurs. La seconde, c’est qu’elle ne mise pas sur la massification des achats, mais sur le partage des savoirs et la collaboration des acheteurs. Jusqu’à parler d’achats "collaboratifs" : « Il est tout à fait envisageable de faire un sourcing commun et de définir une partie du besoin ensemble ainsi que la stratégie achat à suivre, sans que cette démarche débouche sur une procédure de passation commune » explique à la rédaction Louis Potel, vice-président en charge des relations extérieures de l’EHPPA (lire "Collaboration européenne sans massification de l’achat public : l’exemple d’EHPPA").
En voilà une démarche intéressante ! Elle entre en résonance avec nos préoccupations nationales : faire mieux avec moins. Et pourtant, à ce jour, la "solution miracle" de la mutualisation n’est pas brandie, alors qu’elle est classiquement mise en avant quand il s’agit d'annoncer des économies sans une perte d’efficacité…
Haro sur l'Ugap !
S’agissant des achats publics hospitaliers, la création des GHT (groupements hospitaliers territoriaux) semble être une réussite. A tel point que l’on envisage d’élever l’échelle de mutualisation des achats hospitaliers (relire "[Interview] Achat hospitalier : vers une centralisation des achats à l'échelle régionale").
Mais ces temps-ci, la mutualisation par la massification des achats via les centrales d’achat n'a pas bonne presse. L’Ugap, notamment, a fait les frais d’articles de presse et d’émissions télévisées ignorant, ou feignant d’ignorer, que les achats publics, contrairement aux achats privés, sont soumis à un code qui pose des exigences croissantes de prise en compte des considérations sociales et environnementales (relire " Raccourcis et autres incompréhensions : l’achat public dans la lessiveuse").
Il eut été bon aussi de rappeler que la réglementation, toujours plus complexe, pousse à la professionnalisation des acheteurs. Et quand on reproche le coût trop élevé d’un achat réalisé par une centrale d’achat, on oublie, consciemment ou pas, de signaler que la dite centrale se substitue à des missions accomplies par des acheteurs dont les établissements publics ou les collectivités ne disposent pas.
Autrement dit, si l’on adopte une vision "métrique" de l’achat public, il faut aussi déduire les coûts "équivalents temps pleins", ainsi épargnés aux entités acheteuses recourant à des centrales d’achat… Ce serait fait preuve de bonne foi, ne serait-ce que comptable !
Mais ces temps-ci, la mutualisation par la massification des achats via les centrales d’achat n'a pas bonne presse. L’Ugap, notamment, a fait les frais d’articles de presse et d’émissions télévisées ignorant, ou feignant d’ignorer, que les achats publics, contrairement aux achats privés, sont soumis à un code qui pose des exigences croissantes de prise en compte des considérations sociales et environnementales (relire " Raccourcis et autres incompréhensions : l’achat public dans la lessiveuse").
Il eut été bon aussi de rappeler que la réglementation, toujours plus complexe, pousse à la professionnalisation des acheteurs. Et quand on reproche le coût trop élevé d’un achat réalisé par une centrale d’achat, on oublie, consciemment ou pas, de signaler que la dite centrale se substitue à des missions accomplies par des acheteurs dont les établissements publics ou les collectivités ne disposent pas.
Autrement dit, si l’on adopte une vision "métrique" de l’achat public, il faut aussi déduire les coûts "équivalents temps pleins", ainsi épargnés aux entités acheteuses recourant à des centrales d’achat… Ce serait fait preuve de bonne foi, ne serait-ce que comptable !
Trop d’acheteurs publics ?
La mutualisation interroge aussi sur le nombre d’acheteurs publics. Dans cette atmosphère de contrainte financière, on parle (à nouveau et sans surprise …) de supprimer des postes de fonctionnaires. Alors, s’il s’agit de ne pas taper dans les hôpitaux, l’éducation et la sécurité, le "gisement" de suppression se situe dans les fonctionnaires "cols blancs". Là, la mutualisation pourrait servir de bannière...
On relèvera les propos de l’ancien ministre du Redressement productif et chantre du "Made in France". Arnaud Montebourg, auditionné par la Délégation aux entreprises du Sénat le 15 mai dernier, suggère de réduire le nombre d’acheteurs publics … et de plus les former. Il s’appuie sur une comparaison avec l’Allemagne : « 120 000 acheteurs publics en France, contre 3 000 en Allemagne ! (...) Pourquoi alors ne pas créer, sur les territoires, une "agence technique de commande publique", avec des acheteurs super performants, qui maîtrisent le droit au service de l’achat public ? Nous aurions des Cadors de l’achat public et qui accomplissent leur mission : acheter Français» (relire "La charge d’Arnaud Montebourg : « A quand des agences techniques d’achat public performantes ? »").
On relèvera les propos de l’ancien ministre du Redressement productif et chantre du "Made in France". Arnaud Montebourg, auditionné par la Délégation aux entreprises du Sénat le 15 mai dernier, suggère de réduire le nombre d’acheteurs publics … et de plus les former. Il s’appuie sur une comparaison avec l’Allemagne : « 120 000 acheteurs publics en France, contre 3 000 en Allemagne ! (...) Pourquoi alors ne pas créer, sur les territoires, une "agence technique de commande publique", avec des acheteurs super performants, qui maîtrisent le droit au service de l’achat public ? Nous aurions des Cadors de l’achat public et qui accomplissent leur mission : acheter Français» (relire "La charge d’Arnaud Montebourg : « A quand des agences techniques d’achat public performantes ? »").
Si on veut bien faire abstraction du ton, l’idée n’est pas aberrante. Après tout, les centres de gestion (CdG) sont bien des établissements administratifs créés pour prendre en charge la gestion RH des collectivités territoriales, et notamment des plus petites, pour lesquelles l’affiliation aux CDG est obligatoire !
Dans un discours également largement plus apaisé, Sébastien Taupiac, expert en achat public, à l’occasion d’une conférence organisée par achatpublic.info lors du Salon des maires 2024, recommande lui aussi de réduire considérablement le nombre de pouvoirs adjudicateurs : « il n'en faut plus que 1000 ou 1500 ! Un peu à l'image de ce qui a été fait avec les GHT. Une question d'efficacité ! » relire ("[SMCL 2024] Commande publique : toujours des obstacles pour les entreprises ?").
Dans un discours également largement plus apaisé, Sébastien Taupiac, expert en achat public, à l’occasion d’une conférence organisée par achatpublic.info lors du Salon des maires 2024, recommande lui aussi de réduire considérablement le nombre de pouvoirs adjudicateurs : « il n'en faut plus que 1000 ou 1500 ! Un peu à l'image de ce qui a été fait avec les GHT. Une question d'efficacité ! » relire ("[SMCL 2024] Commande publique : toujours des obstacles pour les entreprises ?").
Soulager les petites communes
La commission d’enquête du Sénat sur les modalités et coûts effectifs de la commande publique s’est aussi penchée sur la situation des acheteurs publics. Selon son estimation, moins de 10 % des communes disposent aujourd’hui d’un acheteur professionnel. Elle appelle à plus recourir aux procédures de mutualisation des achats pour « pallier les difficultés liées à l’éclatement bien plus important qu’à l’étranger des pouvoirs adjudicateurs ».
D’ailleurs, dans un ton également bien moins virulent et pour revenir au modèle centrale d’achat, le Professeur Grégory Kalflèche, lors de son audition par ladite la Commission d’enquête, signale que certains pays européens adoptent une approche plus généralisée de la mutualisation des achats à l’échelle locale. Notamment l’Italie, où « les petites communes ont systématiquement recours à des centrales d’achat et ne passent pas de marchés publics » (relire "Acheteur public : un métier sous tensions, selon la Commission d’enquête du Sénat").
Fait notable, pour l’Observatoire de l’éthique publique, l’inégalité de moyens et de compétences des collectivités territoriales pour assurer un achat public durable devient une question … « éthique ». Il formule 11 propositions ... à forte teneur intercommunaliste (lire "L’Observatoire de l’éthique publique se saisit de la commande publique durable")
Osons cependant taquiner les élus locaux : ils se plaignent de la complexité de la commande publique. Dont acte. Mais seraient-ils prêts à perdre l'exercice de l'achat public ?
D’ailleurs, dans un ton également bien moins virulent et pour revenir au modèle centrale d’achat, le Professeur Grégory Kalflèche, lors de son audition par ladite la Commission d’enquête, signale que certains pays européens adoptent une approche plus généralisée de la mutualisation des achats à l’échelle locale. Notamment l’Italie, où « les petites communes ont systématiquement recours à des centrales d’achat et ne passent pas de marchés publics » (relire "Acheteur public : un métier sous tensions, selon la Commission d’enquête du Sénat").
Fait notable, pour l’Observatoire de l’éthique publique, l’inégalité de moyens et de compétences des collectivités territoriales pour assurer un achat public durable devient une question … « éthique ». Il formule 11 propositions ... à forte teneur intercommunaliste (lire "L’Observatoire de l’éthique publique se saisit de la commande publique durable")
Osons cependant taquiner les élus locaux : ils se plaignent de la complexité de la commande publique. Dont acte. Mais seraient-ils prêts à perdre l'exercice de l'achat public ?
Plus de centrales d’achat !
La mutualisation des achats est également particulièrement prônée par France urbaine. L’association d'élus propose de favoriser la création de centrales d’achat territoriales par les intercommunalités. Elles pourraient être reconnues par défaut comme centrales d’achat au profit de leurs membres, afin de mutualiser les expertises et renforcer l’effet levier de la commande publique locale (relire "[Interview] Johanna Rolland : « France Urbaine plaide pour une simplification structurelle des règles »").
La recommandation n° 14 de la Commission d’enquête sénatoriale est d’assouplir les conditions de retour au groupement de commandes pour les communes en intercommunalité. Mais également d’encourager la mutualisation de la fonction achat à l'échelle des intercommunalités. « Il faut une forme d'expertise qu’on ne peut atteindre, de notre point de vue et a minima, qu'à l'échelle intercommunale » développait dans nos colonnes le Président de la commission, Simon Uzenat (revoir "achatpublic invite... Simon Uzenat : « La commande publique exige un cadre politique »" et relire [Interview] Simon Uzenat: «67 propositions pour éviter la sortie de route de la commande publique» ").
Reconnaissons qu'il y a là une belle contradiction : reprocher aux centrales d'achat public d'acheter trop cher... tout en les érigeant comme une solution d'avenir pour l'achat public local.
Mais en matière d'achat public, on n'en est plus à une contradiction près...
La recommandation n° 14 de la Commission d’enquête sénatoriale est d’assouplir les conditions de retour au groupement de commandes pour les communes en intercommunalité. Mais également d’encourager la mutualisation de la fonction achat à l'échelle des intercommunalités. « Il faut une forme d'expertise qu’on ne peut atteindre, de notre point de vue et a minima, qu'à l'échelle intercommunale » développait dans nos colonnes le Président de la commission, Simon Uzenat (revoir "achatpublic invite... Simon Uzenat : « La commande publique exige un cadre politique »" et relire [Interview] Simon Uzenat: «67 propositions pour éviter la sortie de route de la commande publique» ").
Reconnaissons qu'il y a là une belle contradiction : reprocher aux centrales d'achat public d'acheter trop cher... tout en les érigeant comme une solution d'avenir pour l'achat public local.
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