[TCP 2022 - Les lauréats] À Douai, l’achat pour une nouvelle vision de la réinsertion

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Lauréat dans la catégorie “Clause sociale”, le ministère de la Justice doit son Trophée à l’engagement de la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lille. Elle a passé un marché afin de mettre en place une boulangerie à l’intérieur de la maison d’arrêt de Douai. Priorité à l’insertion par le travail pour l’équipe en charge du projet avec, d’une part, la formation au métier de boulanger et une certification professionnelle à la clé et, d’autre part, une mise en situation réelle de production quotidienne de pain.

« Ah, te voilà toi ? Regarde, la voilà la Pomponette… Et le pauvre Pompon, dis, qui s’est fait un mauvais sang d’encre pendant trois jours ! ». Comment ne pas penser à la célèbre réplique de Raimu dans le film de Pagnol, "La Femme du Boulanger "! Une scène émouvante, comme l’est la démarche entreprise par l’équipe de la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lille. À quoi peut donc bien servir une prison, si ce n’est à en sortir ? En sortir, oui, mais avec toutes les chances de renouer avec la vraie vie, avec une formation et un travail !

Adjoint à la déléguée interrégionale, chef du département des achats et de l’exécution budgétaire et comptable (DAEBC), François Zanatta porte ce projet avec Patrick Voillot, référent “formation professionnelle”, et Xavier Accart, référent “travail pénitentiaire”. Docteur en droit, François Zanatta aurait pu choisir de rester dans l’enseignement, mais il a préféré s’investir dans de nouveaux domaines plus opérationnels, comme les finances et les marchés publics, le droit pénitentiaire, le tout dans un contexte très sensible : « L’univers carcéral, dit-il, là où les fonctions support jouent un rôle primordial quant aux conditions de réinsertion et de sécurité des personnes détenues ». D’où le projet qui vaut aujourd’hui un Trophée à son ministère de tutelle.
 

Former vers un métier en tension



À quoi servirait de former des détenus s’ils doivent se retrouver chômeurs une fois purgée leur peine ? D’où l’idée de créer un atelier de boulangerie à la maison d’arrêt de Douai. Ce sont les deux référents “formation professionnelle des détenus” et “travail pénitentiaire”, Patrick Voillot et Xavier Accart, pilotant ces thématiques à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Lille (DISP), qui ont eu l’idée de créer un atelier boulangerie qui serve à la fois à donner du travail en interne aux personnes détenues et à leur formation professionnelle, explique François Zanatta.

C’était un challenge de passer un marché avec deux pans complémentaires mais distincts : produire pour donner du travail et former pour réinsérer, qu’un seul titulaire devait piloter

« Cette expression de besoin m’a été relayée par le biais du service financier de la DISP, avec qui je travaille régulièrement. Responsable de la politique achat public pour le ministère de la justice dans la région ; j’ai fourni à la DISP une ingénierie pour traduire le projet dans le cadre du Code de la commande publique. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait recourir à un type particulier de marché : un marché réservé à des acteurs de l’insertion par l’activité économique. C’était une première pour nous tous qui avions plutôt l’habitude de la passation de marchés de services ouverts à tous. C’était clairement un challenge de passer un marché avec deux pans complémentaires mais distincts : produire pour donner du travail et former pour réinsérer, qu’un seul titulaire devait piloter ».
 

Benchmark pénitentiaire



Profiter d’un retour sur expérience ? François Zanatta en était convaincu lorsque ses collègues et lui ont porté ce projet  : « Le benchmark a été une démarche importante pour consolider nos choix. En effet, des ateliers de boulangerie avaient été créés dans d’autres établissements, dit-il, soit pour produire le pain pour la consommation interne ; soit pour servir de support à la formation professionnelle. Souvent on s’est aperçu qu’il y avait une taille critique qui pouvait mettre en péril l’équilibre économique. C’est notamment pour cette raison que nous avons choisi de livrer trois établissements pour faire grossir la production à plus de mille baguettes par jour, afin que ce soit viable économiquement. Enfin, nous avons constaté que personne n’avait eu jusqu’à présent recours au marché public pour répondre à un tel projet ».

Les actions de formation sont également en cours pour la délivrance d’un certificat de qualification professionnelle d’assistant boulanger

Un constat était alarmant, qui a sans doute servi de signal d’alarme : la proportion de détenus bénéficiant d’une activité rémunérée est orientée à la baisse depuis près de vingt ans. Selon un rapport de l’Assemblée nationale, alors qu’ils étaient près de 40 % en 2006, moins de 30 % d’entre eux travaillent aujourd’hui. Autant dire que leurs chances de réinsertion diminuent d’autant. D’où la nécessaire montée en puissance de l’opération mise en place à Douai : « La boulangerie y produit environ onze cents baguettes chaque jour depuis le 1er octobre, se félicite François Zanatta, nous pouvons ainsi livrer deux autres maisons d’arrêt à proximité, à Arras et Valenciennes. Par ailleurs les actions de formation sont également en cours pour la délivrance d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) d’assistant boulanger ».
 

Un gain achat en plus du gain social


Il y aura toujours des fâcheux sur les bancs de l’Assemblée nationale pour éructer à la moindre initiative visant à promouvoir la réinsertion des détenus. Mais ils devraient réinitialiser leur disque dur. L’exemple de la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lille devrait les y aider, car on peut tout à la fois réaliser un gain achat en plus du gain social : « L’administration a réalisé les travaux du propriétaire comme la mise aux normes sanitaires du local pour accueillir la boulangerie, explique François Zanatta, elle a également investi dans un four professionnel. Tous les autres équipements sont apportés par le titulaire du marché ».

L’administration a réalisé les travaux du propriétaire pour accueillir la boulangerie, et investi dans un four professionnel. Tous les autres équipements sont apportés par le titulaire du marché

Mais qu’en est-il du montage financier ? « C’est un équilibre entre l’investissement initial de l’administration, la part des subventions des différents acteurs publics de l’insertion (subvention au poste de travail par le ministère du travail, subvention pour la formation professionnelle par le Conseil régional des Hauts-de-France), et le coût de la baguette, détaille le chef du département des achats et de l’exécution budgétaire et comptable de la DAEBC, et sur ce dernier point, notre objectif est d’optimiser notre dépense incontournable (la fourniture du pain)».

Désormais, quand l’administration paie le pain au fournisseur qui produit en interne, elle obtient plus qu’une denrée alimentaire : à travers les quarante centimes de la baguette (moins chère qu’en grande surface), on a de l’emploi, de la réinsertion, une rémunération des personnes détenues qui leur permette d’indemniser les parties civiles par exemple, et l’occasion de tisser davantage de liens économiques au-delà des murs avec des prestations ponctuelles, comme les commandes d’administrations locales, par exemple.
Il n’y a pas que la Pomponette de Raimu qui soit de retour ; l’espoir l’est également. C’est l’achat public pour une nouvelle vision de la réinsertion…