Offre anormalement basse : l’irrégularité doit sauter aux yeux

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Lors de l’ouverture des offres, les différences de prix entre les candidats peuvent être surprenantes, surtout lorsque le nombre de soumissionnaires est restreint. Certaines sont-elles anormalement basses ou ce sont les autres qui sont étonnamment hautes ? Retour sur cette question qui tarabuste tous les acheteurs, à l’occasion d’un récent contentieux.

Démontrer devant le tribunal administratif qu’une offre est anormalement basse (OAB) demeure compliqué. Bien que souvent invoqué, le moyen est rarement retenu. Pour preuve, l’ordonnance de référé du tribunal de Nîmes ne fait pas exception. Me Laurent Frölich (cabinet Laurent Frölich) constate que si la décision n’est pas novatrice, elle est soigneusement motivée et explique les différentes étapes du raisonnement. Dans cette affaire, l’entreprise Océan, titulaire sortant, a remis en cause l’attribution à la société Suez RV Méditerranée d’un accord-cadre à bons de commande pour la collecte des déchets ménagers et assimilés lancé par la communauté d’agglomération Nîmes Métropole. « La tâche est d’autant plus difficile qu’il [le requérant] doit démontrer que l’acheteur public a commis une erreur manifeste d’appréciation », prévient Me  Hugues de Metz-Pazzis (cabinet de Metz-Pazzis) avocat de l’attributaire. « L’analyse de l’OAB se passe en plusieurs temps », rappelle Me Frölich. « Classiquement le juge regarde d’une part l’écart avec les offres des candidats concurrents, c’est un indice parmi d’autres, et deuxièmement, il regarde surtout intrinsèquement si l’offre a été manifestement sous-évaluée », complète Me Jean-Philippe Lévy, représentant la communauté d’agglomération Nîmes Métropole (cabinet Lévy).

Faisceau d’indices


Ici, la proposition de Suez RV Méditerranée était inférieure de 19% à celle de son concurrent. Toutefois, dans un arrêt du 4 mai 2016 (n° 396590) le Conseil d’Etat a considéré qu’un écart de 52% n’est pas un argument suffisant à lui seul et retient qu’au vu des informations communiquées au pouvoir adjudicateur ce dernier ne peut être critiqué. « La différence conséquente entre le prix de l’offre d’un candidat et l’estimation du pouvoir adjudicateur » est également un indicateur, signale la décision. Le juge administratif n’est pas économiste : il se fie aux éléments, parfois contradictoires, versés au dossier par les parties. « Cela est d’autant plus difficile quand la matière est technique » avertit Me de Metz-Pazzis. Et, en référé, le temps à disposition ne facilite pas les choses. Pour se faire une idée, la juge a comparé le prix du titulaire avec une moyenne établie par un rapport de l’ADEME (fourchette de prix comprise entre 33 et 66 euros HT par habitant.). Elle a retenu qu’il entre dans cette fourchette (36 euros HT par habitant) et ne l’a donc pas remis en cause.

Si une société attributaire n’est pas capable de démontrer que son offre est construite sur des hypothèses d’organisation sensiblement différentes de celles de sa concurrente, il va être difficile de comprendre pourquoi elle a un prix beaucoup plus bas

Il n’y avait pas « de condition d’exécution particulièrement difficile ou qui sortirait des conditions d’exécution actuellement rencontrées dans le cas des marchés similaires et qui aurait justifié qu’il y ait un coût beaucoup plus élevé que les moyennes rencontrées au niveau national » constate Me Lévy. Conseil du demandeur, Me Guillaume Barnier (cabinet CGCB avocats) a soulevé que les « moyens matériels, notamment des camions, sont insuffisants pour répondre au cahier des charges du marché ». « Si une société attributaire n’est pas capable de démontrer que son offre est construite sur des hypothèses d’organisation sensiblement différentes de celles de sa concurrente, il va être difficile de comprendre pourquoi elle a un prix beaucoup plus bas. Mais d’autres explications sont envisageables », explique Me de Metz-Pazzis. Dans ce contentieux, le magistrat observe « qu’un tel prix est justifié par les conditions favorables dont dispose la société Suez RV Méditerranée, dans le cadre d’un contrat de même objet avec la ville de Nîmes lui permettant d’optimiser ses moyens, mais aussi par l’organisation et les moyens techniques mis en œuvre » Le TA estime, comme le prévoit l’article 60 du décret marchés, qu’un tel prix est justifié par des conditions favorables (l’article 60 mentionne des « conditions exceptionnellement favorables »). Me Lévy rappelle  qu’il est possible de mutualiser ses ressources « sous réserve évidemment qu’il n’y ait pas des conditions de restriction de la concurrence mais ce qui n’est pas le cas en l’espèce ».

La bonne exécution du marché


S’inspirant d’une note de la DAJ sur l’OAB, l’ordonnance retient que la proposition ne doit pas être « de nature à compromettre la bonne exécution du marché ». Me Barnier n’adhère pas à cette définition. Il met en avant que le caractère anormalement bas d’une offre fluctue en fonction de la taille de l’entreprise et considère que cette ordonnance va « un peu loin » au regard de la jurisprudence du Conseil d’Etat « ministre de l’intérieur » (29 mai 2013 n° 366606) qui indique qu’une OAB est « susceptible de compromettre la bonne exécution du marché ».

Lorsque l’on remet une offre, on n’est pas obligé d’en attendre un bénéfice. Il est possible de faire une offre à l’équilibre qui couvre pile les charges

Pour sa part, Me de Metz-Pazzis défend que « lorsque l’on remet une offre, on n’est pas obligé d’en attendre un bénéfice. Il est possible de faire une offre à l’équilibre qui couvre pile les charges » et de réaliser les prestations dans de bonnes conditions. Il ajoute qu’une proposition agressive n’est pas forcément prédatrice ni anormalement basse : il peut s’agir d’une stratégie d’entreprise pour se positionner sur un marché. Il fait valoir que « ce n’est évidemment pas une pratique que l’on peut renouveler systématiquement » mais qu’elle est employée par les petites comme les grandes structures. Il y a beaucoup de façon d’être économiquement viable, complète-il. Dans ce dossier, on pourrait  aussi se demander pourquoi le magistrat n’a pas jugé utile de contrôler le respect par l’acheteur de l’article 60 du décret marchés (I. - L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services […]). A noter que cette affaire n’est pas terminée puisqu’un recours au fond a été déposé.