Les avocats peuvent-ils communiquer leurs références ?

  • 18/02/2009
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Le Conseil d'Etat, à l'occasion d'un contentieux entre la ville d'Aix-en-Provence et un cabinet, va se prononcer sur la question des références données dans les marchés juridiques. En cas d’accord de leurs clients, les avocats pourraient avoir le choix de divulguer ou non leur identité dans leurs réponses aux marchés publics. En leur âme et conscience.

Les règles de la commande publique sont-elles compatibles avec les règles de déontologie des avocats ? C’est en ces termes que le rapporteur public, Nicolas Boulouis, a situé le contentieux opposant la ville d’Aix-en-Provence au cabinet Legitima lors d’une audience du Conseil d’Etat le 13 février (1). Il y a onze mois, le tribunal administratif de Marseille avait dénié, au pouvoir adjudicateur, le droit de demander à un avocat de produire des références nominatives (2) lors d’une procédure de passation de marché public, en s’appuyant sur l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 relatif au secret professionnel. Dans ses conclusions, Nicolas Boulouis a pris le parti inverse et proposé l’annulation de cette ordonnance car le juge marseillais a, selon lui, commis une erreur de droit. « Révéler le nom de ses clients tient plus de la déontologie que du secret professionnel lui-même », a-t-il estimé. Cette information a certes un statut spécial. Mais où est en effet la violation du secret professionnel quand les avocats révèlent eux-mêmes le nom de leurs clients dans la presse ou ailleurs ? Dans certaines circonstances, notamment à l’étranger, la divulgation du nom de leurs clients est autorisée : il suffit que ces derniers donnent leur accord.

Le règlement intérieur de la profession d’avocat, en son article 2, autorise les avocats à faire mention, dans les procédures d’appels d’offres publics ou privés et d’attribution de marchés publics, des références nominatives de leurs clients avec leur accord exprès et préalable. Le tribunal administratif de Marseille avait, il est vrai, mis en doute la légalité de cette dernière disposition. En réaction, le Conseil national des barreaux s’était décidé à être partie dans la procédure intentée par la ville d’Aix-en-Provence devant le Conseil d’Etat. Sur ce point, le rapporteur public a cependant jugé insuffisant son intérêt à agir sur le seul motif de la défense de la légalité d’une disposition dont il est l’auteur, mais sans trancher sur la légalité de la disposition. Sur le fond, pour le rapporteur public, le problème est ailleurs. Il s’agit, dans cette affaire, d’aller plus loin que la jurisprudence du 7 mars 2005 du Conseil d’Etat (Communauté urbaine de Lyon). Celle-ci permet à un avocat de produire des références professionnelles dès lors qu’elles ne comportent pas de mentions nominatives ou d’éléments permettant d’identifier les personnes. Ici, la ville d’Aix-en-Provence avait laissé la possibilité aux candidats à son marché de services de conseil et d’assistance juridique de divulguer l’identité de leurs clients avec l’accord de ces derniers…

Références professionnelles comme critère de sélection des offres

Autre problème soulevé par l’ordonnance du juge de première instance et deuxième motif d’annulation, selon le rapporteur public : la question de l’irrégularité des critères d’attribution. Le tribunal administratif avait estimé que la collectivité ne pouvait inclure un critère relatif aux garanties professionnelles dans la phase de sélection des offres. La publicité prévoyait une appréciation de la valeur technique des offres en partie sur les références de prestations similaires (avec une pondération à 70%). « Ces références professionnelles constituaient l’un des deux éléments de la valeur technique des offres pour jauger l’offre économiquement la plus avantageuse, a relevé le rapporteur public. Ce sous-critère ne constituait pas le seul élément d’appréciation technique - le prix comptait pour 30% - et n’était donc pas déterminant ». Si l’annulation de l’ordonnance du juge marseillais devait être prononcée, l’affaire n’en sera pas pour autant terminée.

La ville d’Aix-en-Provence n’aurait pas répondu à la demande d’informations supplémentaires formulée par le cabinet Legitima en vertu de l’article 83 du code des marchés publics suite au rejet de son offre. Dans ces conditions, « l’entreprise ne peut pas contester la procédure, a fait remarquer le rapporteur public. Le juge ne peut donc pas non plus se prononcer sur la procédure de passation avant que la collectivité ne communique ces informations ». Avec un simple renvoi de l’affaire devant le tribunal administratif, le juge suprême prendrait le risque que la collectivité signe le marché avant que le TA ne puisse lui enjoindre de communiquer ces pièces. Nicolas Boulouis a donc proposé que le Conseil d’Etat ordonne lui-même à la collectivité de répondre à l’entreprise dans les quinze jours à compter du jour de sa décision. Et par ailleurs de suspendre la procédure pendant trois semaines à partir de la date de communication des pièces par la collectivité au cabinet Legitima. La Haute juridiction administrative se prononcera dans quelques jours.

(1) Audience du Conseil d’Etat du 13 février 2009, commune d’Aix-en-Provence, requête n°314610

(2) Lire notre article : Peut-on demander des références nominatives à un avocat ?