Entre considération et obligation : la résilience de la loi Climat

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« Nos légumes sont le fruit d’une agriculture 100% biologique, c’est-à-dire que l’on privilégie toujours les fruits qui sont dans les arbres, alors que l’on oublie trop souvent les fruits tombés il y a deux semaines » Palmashow  (le magasin bio)


La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, fête bientôt ces deux ans. Connue dans l’univers de l’achat public sous son petit nom "loi Climat & Résilience", elle est encore loin d’avoir produit la majeure partie de ses effets, à savoir qu’un marché public ou une concession, par principe, doit comporter à la fois dans les spécifications techniques, les critères d’attribution, et les conditions d’exécution : des « considérations » relatives à l’environnement et au social. Il faudra attendre août 2026 (consulter dossier : Loi Climat & Résilience).

Il est possible qu’entre-temps le législateur avance l’entrée en vigueur de ces dispositions… du moins dans des secteurs où les enjeux de transitions énergiques sont assez forts. C’est le cas avec la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023, relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Elle oblige à insérer, dès le 1er juillet 2024, un critère prenant en compte des considérations environnementales s’agissant de marchés ayant pour objet l'implantation ou l'exploitation d'installations de production ou de stockage d'énergies renouvelable (relire : Entre incompréhensions et inquiétudes : la DAJ tente de rassurer).
 

Le greenwashing en embuscade

Le Gouvernement, dans son Plan national pour des achats durables (PNAD), recommande fortement aux collectivités publiques de commencer à intégrer dans leur contrat a minima une considération environnementale et sociale (relire [Interview] Thomas Lesueur : "Le premier réflexe dans une démarche d’achat durable est de se poser la question du juste besoin"). Mais, pour l’heure, ni la loi Climat & Résilience, ni le code de la commande publique, ni le PNAD ne s’aventurent à conceptualiser le terme de « considération ». Un flou qui peut être source d’insécurité juridique à compter d’août 2026.

En effet, à partir de quel moment est-il possible de considérer qu’un contrat de la commande publique comprend des considérations environnementales et sociales ? Ce flottement peut avoir des effets pervers.
Tout d’abord, s’il est admis que des « mesurettes » permettent de répondre à cette finalité, comme rappeler dans une clause des exigences de la législation ou de la règlementation (relire : [Interview] Clause verte: faut-il simplement mentionner les objectifs légaux ... ou aller plus loin ?), l’acheteur public et/ou les candidats ayant une politique de développement durable peu ambitieuse, seront tentés de faire du « greenwashing » et/ou du « socialwashing ».
Ensuite, contraindre le pouvoir adjudicateur à formuler des clauses et des critères de ce type, dans des segments d’achat où il n’est pas aisé d’en prévoir, c’est le conduire à privilégier la rédaction de stipulations peu pertinentes, voire contre-productives, plutôt que de s’en abstenir, car cette omission serait susceptible de faire courir un risque contentieux plus important.
Une telle conséquence est déjà perceptible pour des "petits" travaux, où la règlementation interdit à l’acheteur public de sélectionner le prestataire uniquement à l’aide du seul critère prix quel que soit le degré de complexité du marché de travaux. Comme le relevait un praticien : « les pouvoirs adjudicateurs sont contraints d’imaginer des critères d’appréciation additionnels plus ou moins artificiels pour ne pas tomber sous le coup de la réglementation » (relire "Départager les offres uniquement sur le prix dans un marché de travaux").
 

Le développement durable, cause de burn-out

La loi "Climat & Résilience" est source de crispation chez les professionnels de l’achat. Et ces incertitudes n’aident pas. Plus on s’approche de l’échéance, plus la tension est palpable. A l’occasion d’une table ronde consacrée au PNAD, organisée par achatpublic.com le 20 juin 2023, la salle a exprimé son inquiétude, et son « ras-le-bol » face à la multiplication des injonctions politiques, et du manque de moyens. Le « burn out » n’était pas très loin (relire "L’achat public en « burn out » : entre assimilation et nouveauté de la règlementation").

L’outil de calcul en coût de cycle de vie de l’Etat est très attendu par la communauté… Mais les praticiens ne se font pas d’illusion sur l’efficacité du processus qui sera proposé. En devant monétiser les coûts imputés aux externalités environnementales et liées au produit, au service ou à l'ouvrage pendant son cycle de vie (CCP, art. R. 2152-9), l’opération devient très compliquée, pour ne pas "dire" impossible. 
 

Au juge, le dernier mot  !

Quoi qu’il en soit, la force des obligations de la loi "Climat & Résilience" va dépendre de l’interprétation qu’en aura le juge. On se souvient de la jurisprudence  "Communauté Urbaine de Nice". En jugeant qu’il ne résulte pas des dispositions relatives à la définition du besoin que l’acheteur public soit contraint de prévoir un critère environnemental, bien que la nature et l’étendue du besoin doivent prendre en compte des objectifs de développement durable, le Conseil d’Etat a réduit l’intensité de cette mesure (CE 23 novembre 2011, req. n° 351570).

De cette décision, on ne peut en revanche en déduire que la Haute juridiction aura tendance à minimiser la portée de la loi "Climat & Résilience". Au vu des circonstances actuelles, il est probable que le mouvement soit, au contraire, au renforcement. En dix ans, le contexte national, européen et international a profondément évolué.
D’ailleurs, selon la Chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, dans un récent rapport d'observations, la protection de l’environnement va devenir « un principe fondamental de la commande publique, au même titre que l’obligation de mise en concurrence, l'égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures » (lire "La protection de l’environnement : le 4ème grand principe de la commande publique ?").