L’achat public en mode "agile" ... c’est-à-dire ?

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"L'intelligence, c'est la faculté d'adaptation"
André Gide


Se Monter « agile », c’est un autre crédo du gouvernement : « Il faut faire du CDI un contrat agile » ; « Il faut se montrer extraordinairement agile dans le contexte de la crise ukrainienne » ; « Il faut se montrer agile pour piloter la transition énergétique » ; « En matière de coopération internationale, les orientations visent à déployer une aide plus agile ».
Un crédo qui aborde désormais les rivages de la commande publique : « En matière des prestations intellectuelles, il faut recourir à des méthodes agiles » explique Elisabeth borne dans une circulaire relative au pilotage et à l’encadrement du recours aux prestations intellectuelles informatiques.

Est-ce une simple incitation ? achatpublic.info a voulu en savoir plus, et surtout comment une « méthode agile » pourrait prendre sa place dans l’achat public.
 

Indices

Un premier indice est donc venu de la circulaire n° 6391/SG du 7 février 2023 relative au « Pilotage et encadrement du recours aux prestations intellectuelles informatiques (PII) (relire "Pilotage et encadrement du recours aux prestations intellectuelles informatiques"). La Première ministre y livre une première interprétation : « Les méthodes agiles permettent, au travers d'échanges réguliers entre l'Etat et les prestataires, une optimisation de la réponse au besoin de l'Etat en prenant en compte davantage l'impact recherché. Elles peuvent donc concourir à détecter des dérives dans les réalisations portées par les sous-traitants » ; (relire "Achat de prestations intellectuelles et informatiques : le Gouvernement exige un "encadrement et un pilotage attentifs").
Diantre, optimiser la réponse aux besoins par des échanges d'échanges réguliers avec les prestataires...
Quels sont les parallèles à faire avec la négociation, les plans de progrès, la " co-construction", voire les "soft skills" ?
 

Parallèles

C’est Mounir Ould Ghouil qui pourrait nous aider à y voir plus clair. La méthode agile, nous explique le chef du bureau des achats informatiques et de télécommunication à la Direction des achats de l'Etat (DAE), c’est une gestion de projet qui permet de faire évoluer en continu le besoin en cours d’exécution afin de l’adapter aux attentes de l’acheteur (lire "L’achat public en mode "Agile" : une méthode incrémentale et itérative").
Première information, la "méthode agile" n’aurait aucun lien direct avec les compétences propres de l’acheteur public, que l’on regroupe sous l’anglicisme de "soft skills" (comprendre "compétences comportementales" (relire "Les acheteurs sont-ils prêts pour les Achats de demain ?" et "Fonction Achat : les conséquences et enseignements de la crise covid-19").
C’est vrai que l’emploi d’un qualificatif comme  "agile", renvoi, a priori, à une qualité. Mais pourtant, là, non : c’est une méthode.
 

Une méthode

Pour résumer," la méthode agile" est apparue dans le monde de l’ingénierie logicielle, en opposition au modèle traditionnel de gestion de projet : « entre ce qui est mentionné dans le cahier des charges et le véritable besoin, il peut y avoir un écart. L’objectif est d’obtenir une prestation ou un livrable sur mesure » explique Mounir Ould Ghouil. Autrement dit, c’est considérer que la définition des besoins est "évolutive" : ils peuvent évoluer en cours d’exécution. Et il n’y aurait pas d’incompatibilité de fond avec les dispositions de l’article L. 2111-1 du code de la commande publique selon lequel « La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation » : il suffirait que les candidats informés que l’exécution se déroulera en mode Agile (avec une description de la méthodologie).
 

Un mixte ?

Or donc, la méthode agile, dans la commande publique, consisterait à adapter le concept de dialogue compétitif à la hauteur de la relation acheteur/ prestataire. Une méthode très proche aussi de celle de "plan de progrès". Avec le plan de progrès, si on en est au-delà de la définition des besoins pour se pencher sur l’exécution, le principe reste le même : « c’est un investissement dans la relation Fournisseurs afin de détecter ce qui a bien fonctionné et ce qu’il faut améliorer dans l’exécution du contrat » (relire "[Tribune Franck Barrailler] Stratégie achat : "Une cartographie des achats, et après ?").
Pour aller encore plus loin, le sourcing (relire "Le B.A -BA de l’achat – Le sourcing, mode d’emploi" et "Le sourcing, une pratique achat réservée aux acheteurs aguerris ?" et le marketing achat (relire "Du sourcing à l’étude de marché : optimisation du marché public par le marketing achat" ne relèvent-il pas , et peut être au premier chef, de la méthode agile ? En allant découvrir les solutions existantes sur le marché, l’acheteur public ne cherche-t-il pas à mieux cerner ... la définition future de son besoin ? (relire [Tribune Franck Barrailler] Stratégie achat : "Une cartographie des achats, et après ?").
 
 

Et donc, d’abord, une qualité ?

Et si finalement, plus qu’une méthode, l’agilité dans la commande publique ne revenait pas, en réalité, à une compétence, voire à une "soft skill", qui consiste à jouer avec finesse avec tous les outils du code de la commande publique pour mieux définir son besoin, choisir la procédure la plus adapté, et veiller à l’exécution du marché ? Voire à "adapter" (si on considère qu'adaptation n'est pas dérogation...) le Code de la commande publique, et notamment son article L. 2111-1 ...

Une compétence "souplesse" de plus en plus sollicitée. Par exemple, comment, pour les acheteurs hospitaliers, répondre à la sollicitation de jouer la carte "achat souverain", malgré cet autre injonction de faire face à la hausse des prix (lire "[Interview] Franck Guyot : "L’achat hospitalier se structure et arrive à maturité") Comprendre les multiples facettes de l’économie circulaire, cela requiert de savoir assimiler plusieurs exigences (lire "[Interview] « Réduire, réutiliser, recycler » : une vision étriquée de l’économie circulaire »").

Répondre à des injonctions, qui, si elles ne sont pas contradictoires, suivent cependant chacune propre logique, cela nécessite une certaine forme d’agilité ! De celle dont doivent disposer les « managers qui doit maîtriser cinq blocs de compétences: la règlementation, les techniques d’achats, le management dans l’achat, la gestion et la supply chain» (lire "Et si vous devenez « Manager de l’achat public » ?").


Bon... A mon avis, pour décrire une méthode, mieux vaut ne pas utiliser un qualificatif...