Smirgeomes et les secrets

  • 27/11/2009
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La révélation d’informations confidentielles avant la signature d’un marché peut faire bon ménage avec une concurrence loyale. Le 16 novembre, le Conseil d’Etat a validé une procédure d’une région qui avait ainsi transmis le rapport d’analyse des offres à plusieurs entreprises candidates pour répondre aux prescriptions de l’article 83 du code.

Tout est question de stade. La communication d’informations confidentielles susceptibles de nuire à une concurrence loyale au sens de l’article 80 du CMP ne méconnaît pas nécessairement les règles de passation des marchés. Le juge regarde avant tout à quel stade de la procédure le fait est survenu. Le conseil régional de la Réunion vient de bénéficier à ce titre de la souplesse de la jurisprudence Smirgeomes. En 2007, il avait lancé un appel d’offres ouvert pour la réalisation d’ouvrages souterrains sur sa voirie et avait transmis, alors que la consultation n’était pas close, le rapport d’analyse des offres à plusieurs entreprises candidates en groupement. Dans son esprit, la communication permettait de répondre à la demande des motifs détaillés de rejet d’une offre de l’article 83 du CMP.

L’affaire portée devant le juge des référés du TA de Saint-Denis de la Réunion avait conduit à l’annulation de la décision de rejeter l’offre proposée par ces entreprises et à l’annulation de la décision portant attribution du marché. Il était même enjoint à la collectivité de mettre fin à la procédure de passation en cours et de relancer un nouvel appel d’offres. Le magistrat considérait que la communication de ce rapport d’analyse contrevenait à l’article 80 du CMP. Celui-ci, dans son III c) dispose qu’un pouvoir adjudicateur ne peut communiquer des renseignements dont la divulgation « pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques ». Pour le juge ultra-marin, il était clair qu’un rapport d’analyse des offres contient des informations susceptibles de nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques. Il a donc appliqué une jurisprudence de 2006 (Syndicat des eaux de Charente-Maritime) (1) qui interdit la transmission de ce type d’informations.

Pas de lésion après le stade de la sélection des offres

Lors de l’audience du 12 octobre, le rapporteur public avait conclu au caractère excessif de cette jurisprudence dans le cadre du référé précontractuel. Les juges du Palais-Royal l’ont suivi. Dans le cas de la région Réunion, la révélation a eu lieu après la sélection des offres. Une raison pour laquelle, selon le Conseil d’Etat, la communication du rapport d’analyse des offres « ne pouvait (…) altérer la concurrence entre les entreprises candidates à l'attribution du marché ». Plus explicitement, « la circonstance qu'elles auraient reçu, après la sélection des offres, communication d'informations confidentielles sur les concurrents, n'a pas été susceptible, eu égard notamment au stade de la procédure auquel est intervenu cette communication, de les léser ». Cette prise de position de la haute juridiction a justifié la censure de l’ordonnance du TA pour erreur de droit.  Le Conseil d’Etat est même allé plus loin puisqu’il considère que les informations ainsi communiquées pour expliciter les motifs de rejet d’une offre « répondent aux prescriptions de l’article 83 du code des marchés publics ». Dans l’affaire, les entreprises requérantes ont d’ailleurs pu contester utilement leur éviction devant le juge du référé précontractuel à partir des explications fournies par la région.

Les juges du Palais-Royal ont aussi rappelé au passage « qu’il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, à l'issue de la consultation, sur les mérites respectifs des offres ». Le litige a aussi été l’occasion de compléter la liste des manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence qui ne lèsent pas. Les requérants reprochaient à la région Réunion d’avoir méconnu les articles 50 et 52 du CMP. Selon eux, le procès-verbal de la CAO ne contenait aucun élément justifiant, dans la première enveloppe, les qualifications de deux sous-traitants du groupement choisi. Et la variante proposée par celui-ci ne figurait pas dans une troisième enveloppe pourtant requise par le règlement de consultation.  Mais elles n’ont pas démontré en quoi ces manquements, à les supposer établis, les auraient lésées ou auraient été susceptibles de le faire, « eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent ». Le stade de la procédure, toujours le stade de la procédure…


CE, 16 novembre 2009, Région Réunion,  CE 16 novembre 2009 région Réunion (611.97 kB)

(1) Communication des caractéristiques des offres : vers plus de souplesse en cas de référé précontractuel ? 
 
Bénédicte Rallu © achatpublic.info